Javier Tanoira : Réflexions à propos du Polo argentin

Publié le: décembre 15, 2014

Filled Under: CONSULT, Polo Tics par Chris Ashton

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On y avait déjà pensé mais jamais on ne l’avait si bien exprimé : c’est ce qu’on pourrait dire du nouveau livre de Javier Tanoira, Réflexions sur le polo argentin, publié en juin dernier.

Ces Réflexions sont une critique du malaise qui affecte désormais le polo, le jeu argentin par excellence, couplée à un vaste ensemble de propositions pour changer les règles (ou retourner aux règles originelles, depuis lors abandonnées, de l’époque où le polo n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui), pour retrouver la magie que ce sport aurait perdue selon Tanoira.

L’auteur est réellement en mesure de porter ces jugements. Né en 1971, il a commencé à jouer au polo en tant que professionnel à 15 ans avec l’équipe White Birch à Palm Beach, formé par Gonzalo Pieres. Il a gagné la Coupe d’Or Rolex avec Revlon en 1992, et a concouru pour l’Open d’Argentine en 2000 et 2001. De handicap 7 à 38 ans, il entend analyser le polo non comme un joueur vieillissant et nostalgique d’une certaine gloire passée mais en tant que pair de ceux qui dominent le polo mondial actuel.

Son héritage familial est tout aussi impressionnant : il est le fils de Luisa nee Miguens, architecte et auteur de Passion&Gloire : Un siècle de Polo argentin (2009) et de Gonzalo Tanoira, décédé en 2004, alors qu’il était président de l’Association Argentine de Polo (AAP) et reconnu comme l’un des rares joueurs de handicap 10 de l’époque. En 2003, disant ne plus trouver d’intérêt à ce sport, Javier a mis un terme à sa carrière professionnelle. C’est après la mort de son père qu’il a commencé à gérer le haras de la famille Tanoira, Polo Argentino, ne jouant plus au polo qu’avec sa famille ou entre amis. “C’est beaucoup plus amusant ainsi” disait-il alors. “Sincèrement”.

Les Réflexions doivent être lues par tous ceux qui pensent actuellement que le polo n’a fait que se dégrader. En près de 90 pages et plus de 25 000 mots, Javier plaide pour une réforme radicale du polo, destinée à le sauver de l’oubli. Son traité combine clarté du propos et précision de la recherche, et en appelle au soutien de la communauté argentine de polo. Les Réflexions ont été traduites en anglais par Sharon Chavanne, traductrice professionnelle et belle-mère du joueur de haut niveau Santiago Chavanne, le beau-frère de Javier. Un coup d’oeil à son dernier paragraphe :
« Dans ce pays qui souffre d’une instabilité économique et politique permanente à cause de la corruption qui y règne, dans lequel on paie pour gagner des votes, qui est touché par une grande pauvreté qui va bien au-delà du territoire national, nous avons de l’or à portée de mains, de l’or dans cette activité qui est solide, dans laquelle beaucoup de familles puisent ce qui assurera leur subsistance et dans laquelle nous pouvons également dire que nous sommes sans conteste les meilleurs du monde… Cependant, nous n’avons pas créé tout ça : nous l’avons hérité de nos parents, de nos grands-parents et de tous les amoureux du polo qui ne sont plus de ce monde aujourd’hui. Je crois sincèrement qu’il est de notre devoir de préserver cet héritage, d’en prendre soin, chacun depuis là où il est, en essayant de faire du mieux possible afin que le Polo argentin continue à être le meilleur du monde pour de nombreuses années encore. Merci pour le temps que vous m’avez accordé. Je vous embrasse tous. »

J’ai été journaliste de polo à Buenos Aires pendant quatre ans, pendant lesquels j’ai interviewé des anciens ou actuels joueurs de polo de haut niveau afin de recueillir leurs réflexions sur l’évolution du polo. Dans les conclusions de Tanoira, en s’appuyant sur les interviews de joueurs retraités ou actuels, d’éleveurs, d’arbitres et d’officiels, je reconnais nombre de mes théories, tout en reconnaissant qu’il en sait sûrement plus que moi, en ce qu’il a pu analyser la situation de l’intérieur.

Pour Tanoira comme pour les grandes figures de l’AAP, le polo mondial a touché le fond lors de la finale de l’Open d’Argentine de 2008, opposant La Dolfina à la Ellerstina. Ils y ont été confrontés au spectacle d’un polo argentin en crise, comme effondré. “Un jeu saccadé et lent… Je me suis rendu compte du fait que les joueurs trouvaient plus efficace d’entretenir un jeu lent, afin de pouvoir garder la balle et ne pas la passer, et de marquer grâce aux penalties” d’après Tanoira.

Les arbitres sont-ils à pointer du doigt, comme n’hésitent pas à le faire beaucoup d’aficionados? Selon lui non. “Ce sont les joueurs qui déterminent ce qui est une faute ou non, et ce n’est pas juste. C’est l’Association argentine de polo qui devrait établir ces critères…” “Aujourd’hui, il est devenu impossible de voir un bon arbitrage car il est tout simplement impossible de voir un bon match. Les arbitres ne doivent pas seulement regarder attentivement les deux ou trois joueurs qui vont vers la balle, mais celui qui a la balle, celui qui le marque, celui qui le bloque, celui qui le contre, celui qui arrive par-derrière, celui qui tente de bloquer celui qui vient par derrière. C’est le jeu typique que l’on est le plus souvent susceptible de voir : un groupe de 5 ou 6 joueurs aggroupés ensemble sur moins de 24 yards au carré. L’un a la balle et la touche avec son maillet, et tous les autres restent autour sans toucher la balle, avec leur maillet levé. Comment l’arbitre pourrait-il faire du bon travail?”

Comme c’est également le cas pour beaucoup d’autres, le fait de réduire les matchs de polo à des penalties marqués en fin de match gâche le plaisir qu’avait Tanoira à regarder un match de polo. Ces 25 dernières années, il semble que le nombre de penalties ait augmenté de 40%.
Je n’ai pas assez de place pour énumérer toutes les critiques qu’a formulé Tanoira à propos du polo, ni pour en écrire sur les solutions proposées, dont certaines ont déjà été adoptées par l’AAP et l’Association Hurlingham Polo. La mise en place d’autres de ses suggestions, telles que le fait de limiter le nombre de chevaux utilisés par les joueurs de polo Argentins de haut niveau à une douzaine par exemple, pour encourager les joueurs à garder plus longtemps leurs chevaux tout au long de la période de jeu, n’est pas pour demain.

Selon Tanoira, le plus grand obstacle à la remise sur pied de ce sport qu’est le polo serait tout bonnement l’absence de désir de changement de la part de la communité du polo. Il propose que le sous comité des règles du jeu de polo de l’AAP, qui rassemble une douzaine d’ex joueurs pour la plupart anciens joueurs de handicap 10 et vainqueurs de l’Open d’Argentine, soit désormais l’ensemble qui dicte les règles du changement dans ce sport.

Il prend comme modèle le Comité des règles du rugby, le code anglais du football dont le gouvernement, le Bureau International du Rugby représente près de 100 associations nationales de rugby, et a amassé 150 millions de dollars grâce à la Coupe du Monde de Rugby de 2003. “Le boom du rugby dans le monde entier a coïncidé avec le travail de ce comité”, explique Tanoira. “Les leagues européennes de rugby sont retransmises en direct par les chaînes de sport les plus importantes, et le Bureau International du Rugby ainsi que ses associations reçoivent énormément d’argent”.

“Cependant, les chaînes de télévision exercent en échange une certaine pression sur eux : ils veulent du spectacle, et tou t le monde le comprend très bien dans le monde du rugby. Cela vient du fait que le comité des règles soit dynamique, car dès qu’ils imposent une règle, les joueurs trouv ent un moyen de s’y adapter. Autrement dit, ils tentent d’en tirer un maximum d’efficacité, ce qui nuit la plupart du temps à la qualité du jeu.”

Ce changement perpétuel dans le monde du rugby n’est pas non plus considéré par tous comme une bonne chose mais peut être pris comme exemple par le monde du polo. J’insiste : il y a un moment où l’on doit changer pour se préserver, et je pense qu’aujourd’hui en est un.

Ecrit par Chris Ashton, correspondant pour Polo Players’ Edition.

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