A première vue, l’idée que Manipur puisse recevoir un tournoi de polo low-goal, avec des équipes montant uniquement des poneys de Manipur, paraît saugrenue. Manipur ? Celle qui fut une royauté souveraine pendant des siècles, située au nord-est de l’Inde, est aujourd’hui l’un des plus petits états du sous-continent, avec 2,3 millions d’habitants aujourd’hui.
Et pourtant lors de la dernière semaine de novembre, la Manipur Horse Riding & Polo Association a organisé un tournoi de bas handicap durant 5 jours, disputé par six équipes de polo venues d’Angleterre, de France, d’Allemagne et de Thaïlande, et même une équipe de New Delhi en plus de celle de Manipur !
Dans la capitale du Manipur, Imphal, le tournoi a eu lieu sur le terrain de polo appelé « Mapal Kangjeibung », sans doute le plus ancien terrain de polo au monde toujours en activité. De l’autre côté de la tribune officielle, une large bannière déclare: NOUS AVONS OFFERT AU MONDE LE JEU DE POLO.
Cette plaisanterie va un peu loin. Dans «The Evolution of Polo» (MacFarland & CO, 2009), l’historien du polo Horance Laffaye, un membre du conseil d’administration du National Museum of Polo and Hall of Fame américain, écrit, «La Chine, l’Iran, le Manipur, la Mongolie, le Pakistan et le Tibet se targuent tous d’être les pays où est né le polo … Il fait cependant peu de doutes que le polo n’y était initialement qu’un jeu réservé aux tribus nomades d’Asie centrale. Une expansion vers l’ouest et vers l’est s’en est suivie, à Byzance et en Chine, très probablement le long du sentier de la légendaire Route de la Soie. »
Les légendes de Manipur racontent que la version traditionnelle locale du polo, ou sagolkangjei (littéralement, le cheval et le bâton) encore jouée à ce jour, est apparue il y a près de 4.000 ans. Comme le reconnaît l’un des auteurs du livret souvenir du tournoi, le jeu et les poneys de polo «… ont fait partie intégrante de la construction de la culture et de la civilisation Manipuri, une importance qui peut être retracée grâce à l’ensemble des manuscrits. Le poney y est symbolisé comme la source de la création de l’homme … le manche du maillet symbolise le phallus de son créateur, et son intrusion dans la tête du maillet représente l’union des dieux et l’acte de création. La balle de polo représente le sperme d’Asiba (le premier fils du créateur du royaume Manipuri) et le jeu de la création se joue sur le ventre de la Terre-Mère. Sagol Kangjet ou Manipuri polo symbolise donc le mythe de la procréation, il doit ainsi être joué dans la sainteté la plus haute … »
Pourtant, selon le lieutenant-colonel Singh (aujourd’hui retraité) Ranjit, vice-président de MHRPA et principal organisateur du tournoi, des preuves évidentes de l’essor de sa version traditionnelle du polo dans le royaume de Manipur, le sagolkangjei, apparaissent en même temps que l’avènement du christianisme. Loin du jeu pratiqué par pur plaisir à la cour, de modestes agriculteurs semblent également avoir joué au sagolkangjei. À l’époque médiévale, la cavalerie Manipur semait la terreur et imposait le respect aux royautés voisines grâce à leur cavalerie, mais aussi à grâce leur bravoure, leur endurance et à l’agilité de leurs chevaux.
Mais si le polo de Manipur a commencé bien après les dires légendaires, aucun historien ne conteste sa contribution au jeu de polo moderne. Au cours du 19ème siècle, la Grande-Bretagne définissait les règles et relations diplomatiques de l’Inde avec les princes des royautés voisines. Les officiers de l’armée britannique, à commencer par le capitaine Robert Pemberton en 1835 et suivi par William McCullock en 1840, ont été les premiers Britanniques à témoigner et à décrire le polo de Manipur.
Par la suite, le capitaine Robert Stewart et le lieutenant Joseph Sherer (présenté comme le père du polo anglais), se sont joints aux planteurs locaux de thé britannique locaux pour des jeux impromptue de sagolkangjei. En 1859, soutenus par les princes Manipuri expatriés dans l’Assam voisin, les deux officiers ont fondé le premier club de polo moderne, et ils présentèrent le jeu à Calcutta dans le début des années 1860, d’où il fut rapidement adopté par tout le subcontinent Indien, des régiments de cavalerie britanniques et indiennes aux états princiers voisins. L’année 1869 a vu les équipes de la cavalerie britannique improviser leurs premiers matchs en Angleterre, où les règles du polo moderne furent rédigées. Par la suite, dans les années 1870, ce sport fut promu dans le monde entier. Ainsi était le sagolkangjei, à l’origine du polo moderne.
Pendant deux millénaires, le sagolkangjei fut au cœur de l’identité nationale de Manipur. Le polo y est cependant en déclin cependant depuis le milieu du 20e siècle, date où Manipur fut annexée par l’Inde nouvellement indépendante. Les nouveaux maîtres de la politique à New Delhi n’avaient aucune sympathie pour les pratiquants d’un jeu associé à la royauté et à la richesse, ni sur le territoire indien, ni ailleurs.
Aujourd’hui, un polo approximatif se développe actuellement en Inde, tandis que le déclin continue à Manipur. On etime aujourd’hui qu’il reste moins de 1 000 poneys à Manipur, l’extinction définitive de la race menace. Pourquoi? Selon le livret souvenir, les prairies autrefois abondantes qui nourrissait les poneys sont maintenant largement réservées à la riziculture et autres cultures plus rentables. Les poneys qui errent maintenant sur les terres cultivées risquent la colère des fermiers, indifférents à leur sort, les blessants parfois jusqu’à la mort.
Ainsi, une culture qui célébrait autrefois le sagolkangjei comme inhérent à la virilité Manipuri fut supplantée par d’autres sports. Les dizaines de clubs de polo de la communauté autrefois admirés sont aujourd’hui réduits au nombre de 10, chacun comptant entre 10 et 15 joueurs actifs, soit environ 300 joueurs au total, disposant tous de deux à trois poneys.
Considéré comme essentiel à l’inversion du déclin du polo de Manipur, tant le sagolkangjei que le jeu moderne joué ailleurs qu’en Inde, la MHRPA est composé de dizaines de volontaires, employés commerciaux, industriels, professeurs ou membres de l’armée indienne, principalement basés dans la capitale.
Selon le livret souvenir, «Ce sont des gens dévoués qui financent eux-mêmes le club et mobilisent fièrement les ressources de leur communauté … Ces gens ne sont pas millionnaires … ils ont un peu d’argent et de temps à perdre (mais) regrettent que leur zèle et enthousiasme ne suffissent pas à supporter les coûts croissants de la gestion d’un club de polo ».
Pour inverser la tendance du déclin de la population de poneys à Manipur, la MHRPA, soutenue par un financement du gouvernement, a mis en place à Imphal un système de 40 juments donnant naissances à environ 30 poulains par an. La mise en vente des poneys, avec des acheteurs payant au moins $600 par poney, ne permet toutefois guère à l’association d’assumer ses responsabilités financières.
Pour encourager les équipes étrangères à venir disputer le tournoi low-goal en 2012, et se faisant attirer l’attention de la communauté mondiale sur le sort des poneys de Manipur, la MHRPA a rallié à sa cause Nicholas Colquhoun-Denvers, ancien président de l’England Hurlingham Polo Association et actuel vice-président de la Fédération Internationale de Polo.
Dans son appel à la communauté internationale de polo, il a déclaré «… il me semble qu’il est grand temps que les joueurs de polo du monde entier, qui ont eu tant de plaisir grâce à ce sport au fil des années, soient à leur tour redevables à ceux qui ont donné à nos ancêtres la gloire dont nous jouissons tous. »
(Ceux qui ont par ailleurs lu mon article, Polo Poets: Poems From the Cradle of Modern Polo, Polo Players Edition, Août 2012, se souviendront de la façon dont Colquhoun-Denvers, sous le pseudonyme d’Archangel, écrivit dans The Manipuri’s Gift :
« The land of the Viceroys’times has changed,
And Great Britain is no longer so great
But the gift freely given with an open heart
Attests to a different fate.
As armies shrink and forests fall
And the past lies there in decay,
The game that was once the province of Kinds,
Is now there for all to play »)
Le November International est le sixième événement de cette envergure organisé par la MHRPA depuis 1991. Avec un seul chucker en pratique avant le début du match et un tournoi, qui se déroule exclusivement sur des poneys de Manipur d’une hauteur de 11 à 13-hands, les équipes invitées furent quelques peu déroutées lorsqu’elles s’essayèrent à la version locale du polo moderne.
Un joueur britannique, mesurant plus d’1m80, m’a confié après son premier match, «je n’avais plus monté un poney si petit depuis mes 1 an. Par souci de justice, les équipes échangent leurs montures à la mi-temps. L’équipe locale de Manipur a vaincu celle de New Delhi 15-5 en finale, comme on aurait aisément pu le prévoir.
L’équipe thaïlandaise, composée d’une vingtaine de jeunes joueurs thaïlandais, était dirigée par Federico Bachmann (handicap 5), qui divise sa vie professionnelle entre l’Argentine, son pays d’origine et le Pattaya Polo & Equestrian Club en Thaïlande. Il a comparé les poneys de Manipur à la conduite d’une Ford T, qu’il vénère comme la toute première chaîne de montage automobile. «Nous savons qu’ils (les poneys Manipur) ne s’arrêtent pas, ils courent et ils ne tournent pas mais nous ne sommes pas venus ici pour gagner,» a-t-il expliqué. «Nous sommes venus faire l’expérience de ce qu’était le polo autrefois. Ce tournoi m’a aidé à comprendre comment le polo a commencé, combien les chevaux se sont améliorés et la façon dont le jeu lui-même a également évolué. C’est incroyable de penser à ce qu’était le polo et à ce qu’il est devenu ».
Retrouvez notre article « Sur les traces du Polo de Manipur ».
Le 6ème tournoi de Polo de Manipur s’est par ailleurs joué l’année dernière!