Pour les frères Harriott, le passé est comme un autre pays

Publié le: décembre 15, 2014

Filled Under: Polo Tics par Chris Ashton

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Tous les amoureux du langage, dont je fais partie, reconnaîtront être admiratifs face à la célèbre phrase d’accroche du roman de L.P Hartley de 1953, L’intermédiaire : “Le passé est un autre pays : on y faisait les choses différemment”.

L’aphorisme d’Hartley m’est revenu à l’esprit alors que je lisais une interview de Juan Carlos Harriott parue dans le livre annuel de l’Association Argentine des éleveurs de chevaux de polo, fondée il y a 27 ans pour promouvoir la race Polo Argentino, dont il y a maintenant plus de 600 représentants enregistrés.

L’interview avec Juan Carlos Harriott Junior, connu au sein de la communauté de polo argentine comme Juancarlitos, m’a rappelé l’interview que j’avais moi-même faite avec son plus jeune frère, Alfredo, publiée dans “Polo Times” (RU). Complémentaires, leurs réflexions à propos de la comparaison entre leur façon de jouer au polo lorsqu’ils étaient à leur meilleur niveau et aujourd’hui, souligne le vrai qu’il y a dans la citation d’Hartley à propos de la distinction entre passé et présent.

Etant pleinement conscient du fait que les plus jeunes lecteurs de Polo Players Editions pourraient ignorer l’histoire argentine du polo d’avant l’avènement du polo des patrons et des professionnels, je ferai une légère disgression à propos de l’âge d’or du jeu amateur, période pendant laquelle le nom Harriott a eu ses lettres de noblesse. Juancarlitos et Alfredo étaient les petits protégés du club du Colonel Suarez, à proximité d’une ville marchande à plus de 300 miles de Buenos Aires, à l’extrémité sud est de la pampa. Fondée en 1929, le club a dominé le polo argentin comme jamais cela ne s’était produit et comme cela ne se reproduira sûrement jamais plus, de la fin des années 50 au début des années 80.

Juancarlitos, né en 1936, et Alfredo, né en 1945 ont bénéficié de l’expérience de mentors mythiques tels qu’Enrique Alberdi, un des anciens membres du club présent dès leur initiation, des membres de la famille Heguy, mais surtout, de leur père, Juan Carlos Harriott Senior, un joueur de handicap 9 au meilleur de son niveau, ayant remporté neuf Open Argentins dans l’équipe de Colonel Suarez entre 1952 et 1961, ainsi que son frère Eduardo qui a appris aux garçons a s’occuper de chevaux de polo.

Durant ses années en tant que capitaine de Colonel Suarez, entre 1961 et 1980 et maîtrisant de nombreuses combinaisons, incluant notamment son frère Alfredo, Juancarlitos, 10 de handicap, a gagné 20 fois l’Open d’Argentine, sans compter une quantité innombrable d’autres trophées à domicile et à l’étranger, par exemple quatre Coupes des Amériques sous le drapeau de l’Argentine. Durant cinq années consécutives, l’équipe du Colonel Suarez, qui comptait les frères Harriott et Heguy, Horacio et Alberto Pedro, faisaient figure de leaders avec leur 40 de handicap, étant les seuls du monde à pouvoir prétendre à un tel niveau.

Dans “Figures du polo : Les Joueurs qui ont changé la donne” (Macfarland & Co. 2008), Horacio Laffaye, éditeur et co-auteur de livres, salue le succès de Juancarlitos en mettant en valeur ses qualités de joueur, de stratège, de capitaine et son aptitude à s’impliquer à fond du début à la fin du match, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, maintenant ses adversaires en défense.

En 1976, il reçut le Golden Olimpia Award, en tant que sportif le plus remarquable d’Argentine. Pour donner une idée, les autres grands noms élus à ce titre ont également été Diego Maradonna (football), Juan Manuel Fangio (course automobile) et des stars du tennis telles que Gabriele Sabatini et Guillermo Villas.

“Effacé, calme, parfois trop poli, Harriott aimait les matchs plus que la plupart des joueurs” écrit Laffaye. “Sur le terrain, il était très sérieux, et on ne pouvait pas lui décocher un sourire. En vrai gentleman, il n’a jamais insulté un autre joueur”. Laffaye nous rappelle que toute la carrière de Juancarlitos ne s’est faite qu’à l’âge du jeu amateur… âge pendant lequel on voyait davantage le sport comme un moyen de s’amuser, ce qui incluait davantage de fair play, de respect des règles et moins d’avantages financiers.

En ce qui concerne les débuts de leur écurie, Juancarlitos a déclaré dans le livre annuel de l’Association Argentine d’Eleveurs de Chevaux de Polo qu’Alfredo et lui avaient eux-mêmes entraîné leurs chevaux durant leur carrière : “L’origine de notre élevage remonte au temps de mon père et de son frère Eduardo, qui était un joueur de polo ordinaire, de handicap 2, patient comme un saint et qui a réussi à former de très bons chevaux de polo… Ils devaient être des chevaux de course élevés à la dure, avoir une certaine classe et du caractère, ce que nous continuons à prendre en compte aujourd’hui.”

Au long de leur carrière de polo, les frères Harriott ont été de très bons partenaires, se supportant l’un l’autre. Quand leurs père et oncle leur ont envoyé un groupe de chevaux de 4 ans pas encore éduqués pour le polo, ils les ont montés un à un, en se mettant d’accord et en se répartissant les chevaux, pour pouvoir les choisir lors de leurs matchs.

Combien de chevaux utilisait-il en moyenne pour jouer une finale de 8 chukkers? “En finale, j’en utilisais en général cinq” répondait-il. “J’en ai parfois fait jouer 4. Les mercredis on faisait un petit match d’entraînement et les jeudis, on jouait pour de bon. Si l’on remarquait que l’un des chevaux était un peu lourd, on le faisait parfois jouer un demi chukker de plus”.

Ayant joué avec 10 de handicap entre 1974 et 1982, remportant 13 fois l’Open d’Argentine et deux fois la Coupe des Amériques pour l’Argentine, Alfredo a également marqué le monde du polo et à juste titre. Sans penser qu’il ait pu vivre dans l’ombre de son frère, il insiste sur le fait qu’ils ont toujours été proches et qu’ils continuent à l’être. Il reconnait de lui-même la gratitude qu’il a envers lui en ce qui concerne son soutien lors de sa carrière de joueur.

En quoi le polo Argentin joué à son meilleur niveau diffère-t-il aujourd’hui de celui que son frère et lui jouaient en leur temps? “Je ne dirai pas que le polo d’aujourd’hui est meilleur ou pire, mais je préférais quand même celui que l’on jouait et que l’on appréciait sûrement davantage en temps que spectacle” répond-il. “C’était un jeu à part entière, les chevaux courant tout le temps, et c’était davantage un jeu d’équipe”.

“Une des différences entre le polo de l’époque et celui d’aujourd’hui et que nous étions des amateurs et qu’ils sont tous professionnels aujourd’hui. Le reste de l’année, ils jouent avec des patrons de bas handicap. S’ils veulent gagner, ils doivent jouer dans différentes positions et ont donc développé un jeu plus individuel. Cambiaso est le meilleur exemple de ce style moderne”.
“Le jeu est si différent aujourd’hui qu’aucun des chevaux sur lesquels nous jouions ne serait aujourd’hui choisi par les joueurs – et nous n’aurions pas non plus choisi ceux sur lesquels ils jouent aujourd’hui! Les chevaux d’aujourd’hui sont très fins et élancés, explosifs dans les premières minutes mais s’usent rapidement”.

“On faisait jouer nos chevaux deux chukkers. Aujourd’hui ils font jouer chaque cheval trois minutes, en les changeant fréquemment car le jeu est beaucoup plus haché, les joueurs s’arrêtant et reprenant sans arrêt, ce qui est plus difficile sur un cheval qu’un jeu ouvert où il faut les faire courir”.

Et la façon d’arbitrer le haut niveau? “Je ne pense pas que l’on puisse être un bon arbitre de haut niveau si l’on n’a pas soi-même joué au polo à haut niveau. Il est plus difficile aujourd’hui d’arbitrer car la trajectoire de la balle change très vite”. En me parlant à l’Association Argentine de polo du fait qu’il fallait empêcher les joueurs d’avoir trop longtemps la balle pour n’importe quel motif, il a déclaré: “ On ne pénalise plus les joueurs qui font dévier la balle sans arrêt, et cela a changé la donne. Aucun ne tire depuis le fond du terrain aujourd’hui. Arrêtez moi si je me trompe mais je n’ai jamais connu une équipe perdante qui reconnaissait que l’arbitre ait été compétent ou juste. Se disputer avec un arbitre a toujours été et reste un problème.”

Aujourd’hui, Juancarlitos et Alfredo Harriott vivent autour de Colonel Suarez, ayant chacun leur ferme, ce qui implique pour Alfredo d’élever lui-même ses chevaux de course et de polo, en partie pour ses deux fils, Pablo et Sebastian, tous deux presque professionnels et de handicap élevé, jouant également pour Colonel Suarez.

Alfredo Harriott regrette-t-il que sa propre carrière de polo de haut niveau se soit inscrite dans un temps où les joueurs n’avaient pas forcément autant d’avantages et ne voyageaient pas partout dans le monde? “Non, non, pas du tout” repète-t-il avec emphase. “Je suis très heureux de l’époque à laquelle j’ai joué”.

« Le passé est un autre pays : on y faisait les choses différemment”.

Ecrit par Chris Ashton, correspondant pour Polo Players’ Edition.

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